je suis calme et enragé·e

Texte de Roxane Desjardins

1.

Nous étions masques, miracles, 
empêtrées dans l’enthousiasme, 
mystère longtemps guetté, 
apparitions-disparitions, 
habitudes qui sonnent faux. 

Je t’écris trop tard
pour transformer l’inquiétude
en glace, en blés caressés ;
au sud enfin il ne pleuvait plus
tous les jours, le soleil fondait
sur la terre (herbe sèche, baisers visqueux 
prodigués sans joie). 

Les soirées ne s’interrompent pas : 
les planètes, les lunes, les roches 
égarées circulent entre nous,
elles figurent des déesses 
creuses et avides,
aux intentions indéchiffrables. 

Nous voulons croire
à ces courbes, à ces lignes 
imprécises ; nous y cherchons 
les signes de notre intelligence. 

Pourquoi nous découper ? 

Le sens est couché
aux pieds d’une constellation. 

2.

J’espère être absoute.

Je me fais une place dans le caniveau.

Toutes les images existent. 
J’enlève les tailles et les formats.

Je pleure les trous.

J’ai honte de haut.

Mon corps s’agite.


J’ai envié la mort.
Il y a des couleurs pour les mois. 

Les mois jaunes me secouent. 

La nuit, j’étreins mon nœud. 

Je me confesse.

Je n’indique pas l’endroit de mes humiliations. 

Il me manque des fruits.


J’ai pris du retard.

Je suis ratée.

J’ai refusé les nuages.

J’ai bu du mauvais côté.

Il est possible que je m’égare. 

Il n’y a pas de phrases.


Mes fleurs fanent.


 J’inventorie les accessoires.


J’imite un poteau, j’imite un petit bloc de béton. 

J’ai blanchi, gémi et plié.

Je ne comprends pas ce qu’on me veut. 

Je tombe de sommeil.

Il suffit de savoir mentir.


Les étoiles se dérobent. 

Affalée sur le sol
raide, le sol brûlantavec le chien, chienne, 

feuillue, saillie,avec le vent brusque,le plomb liquide, léché,
à la surface, avec les dents : 

elle comptait puis 

recomptait les prises,
elle se tenait patiente
avec ses danses, ses mailles, 

avec sa faim moite.

La veille, elle en avait laissé un 

s’emparer de son âme,
des liquides qui courent
avec le plomb, la langue, elle 

avait attendu qu’il se fronce, 

qu’il s’effondre,
qu’il advienne,
avec les dents : 

la veille, attendu
qu’il perde ou que le jeu tourne, 

brusque, le plomb, avec
la langue, le lourd.

Le très lourd elle l’a surpris, 

elle l’a tenu,elle l’a jeté, vu
dévaler la pente ;
ce matin menthol volée

maté amer elle avale
de travers, étalée
contre la chienne, au soleil — 

paupière 

folle. 

Le cou chargé, le cou 

esquinté. Quelqu’un approche 

pour l’accuser. 

Ils ont dit que le ciel
se couvrirait d’aiguilles,
que notre peau
deviendrait isocèle,
ils ont promis des musiques
et des canicules épouvantables. 

Nous restons enlacés,
mal mangés.
L’eau continue de monter. 

Nous ne faisons guère 

attention aux cendres.                            

Nous prenons l’avion. 

Nous échappons nos clés. 

L’air nous embrasse. 

C’est un projet.
Une forme de plus,
une forme de trop.
C’est écrit.
Je suis contente que tu sois ici : 

tu partages mes sens. 

On se raconte notre malédiction, 

en mesurant de temps à autre 

l’ardeur des bactéries.
Les escaliers nous déposent 

devant un paysage

effrontément immobile. 

Encore les détails. 

Je mourrai 

dans une pièce
fermée. 

Les yeux ouverts.
Le ventre plein de fumée. 

La peau fondue. 

Je mourrai noyée, par accident, 

mon visage ne sera pas épargné 

et on aura oublié,
avant, 

de prendre une photo. 

Quand je mourrai, il ne restera rien de ce visage. 

J’embrasse mon chat
qui va mourir avant moi.
La vérité concerne seulement 

ce qui est déjà arrivé. 

Je plie le temps et je le rentre
dans ma bouche. Je mourrai étouffée, 

ces soies encombrant ma gorge,
mon œsophage, mon estomac, 

débordant entre mes côtes. 

Je meurs lentement.
Je suis en retrait,
on ne prend pas de photo, je repose,
on attend de voir
mon soulèvement ? 

Il n’y a rien à dire

sur l’humanité. 

Les malentendus, 

les années-lumière,
la brise. 

Vous ne trouvez rien à ajouter. 

Une petite poussée 

pour faire pencher
le langage. 

Le fleuve monte,
se saisit de ça,
vos menues épaves, ce qui traîne ici. 

Il a toujours été trop tard, 

l’air entre dans vos poumons, 

il en ressort. 

Vous allez survivre aujourd’hui. 

Vous survivez.
En cet instant précis. 

Le long des entailles
maintenant cicatrices
sur le bras d’une fille qui ne vous émeut pas, 

vous glisserez un doigt. 

Le doigt qui ne réfléchit pas. 

La tête ailleurs :
déjà les ombres
vous auront ramenées à elles.